La Grande Panne (éditions LeTripode)
est un roman surprenant, car son auteur, Hadrien Klent, ne compose pas tout à
fait dans le registre attendu, compte tenu du sujet abordé. Comme le titre
le laisse deviner, La Grande Panne raconte l'histoire d'un
black-out : suite à l'explosion (d'origine criminelle) d'une mine en
Italie, un nuage rempli de poussière de graphite déclenche des incendies au
contact des lignes à haute tension. En conséquence de quoi, l'Italie, et
bientôt la France, décident de couper le courant.
Le parti pris de la légèreté
En ouvrant La
Grande Panne, on s'attend à lire un roman sur la vie dans un monde
sans électricité, avec une intrigue orientée sur la traque des coupables de
l'acte terroriste. Mais le sujet du roman, c'est davantage la gestion
de la panne par le pouvoir exécutif réfugié sur l'île de Sein (car
autonome en énergie), et plus précisément, les relations qui vont se nouer
dans l'entourage présidentiel au cours de cette sorte de parenthèse que
constitue pour lui l'épisode de la panne. Le registre n'est donc clairement pas
celui de la catastrophe et du drame. Hadrien Klent choisit au contraire l'humour
et la légèreté : le président de la République oscille entre folie douce
et gouffres narcissiques, autour de lui des militaires zélés gesticulent dans
des postures ridicules, les révolutionnaires qui voudraient profiter du
black-out pour agir ressemblent à une bande de pieds
nickelés... De belles histoires d'amour vont naître, portées par
des personnages pourtant remplis de contradictions et d'hésitations, têtus,
timides. Enfin, les paysages insulaires, poétiques et
sauvages, sont omniprésents dans le roman.
Écrire sur le pouvoir
La catastrophe n'en est donc pas une, et l'on goûte avec
plaisir ce ton doux-amer, cette poésie de l'intimité, cette loufoquerie des
hommes de pouvoir... Mais une question se pose, à la lecture du
roman : le roman ne lisse-t-il pas les aspérités du
réel ? Ne dissout-il pas la possibilité d'une critique du
pouvoir ? En fait, non. Mais c'est là encore une question de
registre... Hadrien Klent développe notamment son intrigue autour des thèmes
du discours des communicants en période de crise, de la censure de la
parole dissidente, de la surveillance, des velléités de révolte tuées dans
l'œuf. Des éléments de réel qui apparaissent en filigrane,
dans la trame romanesque, et non dans des discours rhétoriques, qui n'auraient
que peu à voir avec la littérature.
Un beau texte dans un beau livre
Une dernière chose, ce livre est vraiment un bel objet :
sa belle police de caractères, la largeur de ses marges, la qualité du papier,
son format généreux... Les éditions du Tripode ont manifestement le goût du
travail bien fait.